Lyon Libé – Le francoprovençal « élément le plus fort » de l’identité rhônalpine

LANGUES – Jeudi 9 juillet, dans la soirée, le Conseil régional de Rhône-Alpes devrait approuver en assemblée plénière un rapport qui préconise de « reconnaître, valoriser et promouvoir l’occitan et le francoprovençal, langues régionales de Rhône-Alpes ». Cette reconnaissance du parler lyonnais immortalisé par Guignol, du gaga stéphanois, ou encore du patois savoyard – autant de déclinaisons du francoprovençal – irritera peut-être les irréductibles défenseurs d’une seule langue française corsetée par l’Académie et garante de l’unité nationale.

LANGUES – Jeudi 9 juillet, dans la soirée, le Conseil régional de Rhône-Alpes devrait approuver en assemblée plénière un rapport qui préconise de « reconnaître, valoriser et promouvoir l’occitan et le francoprovençal, langues régionales de Rhône-Alpes ». Cette reconnaissance du parler lyonnais immortalisé par Guignol, du gaga stéphanois, ou encore du patois savoyard – autant de déclinaisons du francoprovençal – irritera peut-être les irréductibles défenseurs d’une seule langue française corsetée par l’Académie et garante de l’unité nationale. Elle hérissera aussi sans doute ceux qui craignent que la Région prenne ainsi une coloration folklorique, rurale ou passéiste. Ou à l’inverse, elle ravira les tenants d’un terroir crispé sur ses racines. Qu’importe ! Car entre ces positions extrêmes, se trouve toute une population de rhônalpins plus familiers et attachés qu’il n’y paraît à ces langues régionales.

Comme Monsieur Jourdain faisait de la prose sans le savoir, les Rhônalpins « parlent » des traces de francoprovençal ou d’occitan… Et ces langues sont même « l’élément le plus fort et le plus ancien » qui les réunisse au sein de cette entité purement administrative qu’est Rhône-Alpes… C’est ce qu’il ressort de l’étude commandée par la Région à l’Institut Pierre Gardette de l’Université Catholique de Lyon. Ce document de 130 pages sur « le francoprovençal et l’occitan en Rhône-Alpes », constate bien sûr que l’usage de ces langues est en déclin dans notre région et que les locuteurs sont très peu nombreux et âgés.

Le francoprovençal est carrément moribond et doit ses derniers élans à la vitalité de sa variante savoyarde. Ici comme ailleurs, les langues régionales et minoritaires sont donc en « danger sérieux d’extinction » comme l’indique la Convention de l’Unesco sur la protection et la promotion de la diversité des expressions culturelles (ratifiée par la France le 18/12/08).

Pourtant, il existe des signes d’ « un réel intérêt pour ces langues », et le français parlé en Rhône-Alpes garde de nombreuses marques et traits particuliers provenant de ces langues : des accents, des particularités morphologiques ou syntaxiques (dont le persistant : « j’y fais » pour « je fais cela »), et bien sûr des centaines de noms communs et toponymes.

« Vogue » pour « fête foraine », « cafi » pour « plein », « tatan » pour tante, « cayon » pour « cochon », « flapi » pour « fatigué » ou encore « viron » pour « promenade » ou « patte » pour « chiffon » sont ainsi entrés dans le vocabulaire des lyonnais et rhônalpins, comme « diot », « pogne », « raviole » ou « caillette » dans celui des amateurs de gastronomie régionale.

Un sondage réalisé par l’Institut Gardette auprès d’élèves de CM2 révèle même que le taux de connaissance de ces régionalismes par ces enfants rhônalpins est de plus de 30% !

Quand les bambins, pourtant de toutes origines familiales, n’en ajoutent pas spontanément à la liste, comme « graille » ou « gone »…

Quant aux toponymes, ils sont légion, comme « molard » pour « talus », « combe » pour « petite vallée », « balme » pour « grotte » ou « doua » pour « canal d’irrigation », sans compter tous ceux se terminant en –az ou –oz, marques du francoprovençal.

De même, il existe sans doute de nombreux microtoponymes francoprovençaux méconnus qui risquent de s’éteindre avec les derniers patoisants ; la Région propose de les inventorier et de les valoriser, le cas échéant, par la dénomination de rues, places ou quartiers.

Autre enseignement de l’étude de l’Institut Pierre Gardette, et non des moindres : « la langue vernaculaire (…) constitue l’élément le plus fort et le plus ancien de l’identité rhônalpine, car elle prouve qu’il a existé pendant près de deux millénaires une communauté linguistique entre tous les petits pays qui forment cette région ». Alors que les divers territoires et populations qui composent Rhône-Alpes ont longtemps cherché un fondement commun à leur réunion administrative, en voilà donc un : le partage d’une même langue qui a évolué pendant deux millénaires, depuis la fondation de Ludgunum. Le francoprovençal est en effet « la langue régionale de la plus grande partie de Rhône-Alpes » (1) d’autant plus que le dialecte occitan le plus communément parlé dans cette région (le vivaro-alpin, dans le sud de la Drôme et de l’Ardèche et une partie de l’Isère) lui est très proche.

Sur la base de l’étude réalisée par l’Institut Gardette, l’exécutif régional propose une série de propositions symboliques et économes (nous sommes en fin de mandat… ). La première est la reconnaissance officielle de « la valeur sociale, culturelle et patrimoniale du francoprovençal et de l’occitan ». « Cela n’avait jamais été fait par notre collectivité » souligne le président de Région Jean-Jack Queyranne, qui a voulu faire de la défense de la diversité culturelle l’un des axes de son mandat.

« On est tous acquis à la cause de la biodiversité mais la menace n’est pas moindre sur la diversité linguistique : on estime de 6 à 10 000 le nombre de langues parlées dans le monde ; en un siècle il pourrait n’en rester que quelques centaines. Or toutes les langues sont égales en dignité, elles sont toutes porteuses d’une vision du monde originale. Chaque disparition de langue est une tragédie pour l’humanité» souligne Abraham Bengio, directeur général adjoint de la Région et fervent polyglotte.

Cette reconnaissance pourrait se traduire par l’adhésion à la Plate-forme des langues régionales de l’Association des régions de France, même si l’un des articles de ce texte demeure problématique (pour ceux qui craindraient que « la prise en compte du bilinguisme dans les services publics » oblige les guichetiers de La Poste à la maîtrise du francoprovençal…).

Autres propositions : la création d’un comité de suivi de la politique en faveur des langues régionales, et des actions de sensibilisation ou d’incitation dans les domaines de l’enseignement, du tourisme ou de la création artistique. Plus généralement, il s’agit de « mobiliser l’ensemble des dispositifs régionaux disponibles » afin de promouvoir les langues régionales. Exemples : une aide à l’édition pourra être octroyée à un projet de publication en langue régionale, une allocation de recherche à un programme d’études sur l’occitan.

Après ce premier texte sur les langues régionales, Abraham Bengio verrait bien, dans une prochaine étape, une délibération sur les langues minoritaires issues de l’immigration. « Quelqu’un dont on reconnaît la culture et la langue d’origine aura plus envie de s’intégrer que si on lui impose des mutilations. Ce n’est pas de l’altruisme, mais de l’égoïsme : nous avons besoin de la diversité culturelle et linguistique » estime Abraham Bengio.

Communauté francoprovençale, Rhône-Alpes est aussi une terre historique d’immigration et d’accueil des cultures et des langues.

Anne-Caroline JAMBAUD Lyon Libération (1)

L’aire rhônalpine francoprovençale s’étend des monts du Forez à l’ouest jusqu’aux frontières de la Suisse et de l’Italie à l’est, comprend la totalité des départements de la Haute-Savoie, de la Savoie, de l’Ain, du Rhône, la majeure partie des départements de la Loire (…) et de l’Isère (…), l’extrémité nord des départements de la Drôme et de l’Ardèche ». L’étude rappelle que le francoprovençal est également parlé dans certaines parties de la Franche-Comté et de la Bourgogne, mais aussi en Suisse romande, dans la vallée d’Aoste et dans le Piémont.


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