Fatima Bedar

Lyon : rassemblement après la profanation de la stèle du 17 octobre 1961

Lyon, 22 octobre 2025 – À peine inaugurée, la stèle commémorative du 17 octobre 1961, installée Place Gabriel Péri à Lyon, a été profanée. Cet acte, attribué à un groupuscule qualifié « d’extrême droite », a suscité une vive réaction. En réponse, le Collectif des Algériens de France et le Collectif Lyonnais du 17 Octobre appellent à un rassemblement ce jeudi 23 octobre à 17h30, sur les lieux mêmes de la stèle.

Une mémoire ciblée… et sélective ?

La stèle rend hommage aux centaines de Kabyles et d’Algériens pacifiques et désarmés, assassinés à Paris le 17 octobre 1961, lors d’une répression sanglante ordonnée par le préfet Maurice Papon. Il s’agit de la première stèle érigée à Lyon en mémoire de ces événements tragiques, longtemps refoulés par les autorités françaises.

Pourtant, les collectifs organisateurs ne mentionnent jamais explicitement les Kabyles, alors même que nombre d’entre eux furent parmi les premières victimes, et les figures majeures de la lutte menée depuis la métropole. Ce silence, récurrent dans les discours « unitaires », interroge : peut-on rendre hommage à une mémoire tout en occultant volontairement une part essentielle de celle-ci ?

La profanation de la stèle est une offense grave. Mais elle ne doit pas servir d’écran de fumée pour éviter les questions fondamentales : quelle mémoire est honorée ? par qui ? et dans quel but ? Car ce que certains désignent comme une atteinte à une mémoire commune est aussi, pour d’autres, le révélateur d’un récit fragmenté, construit sur des oublis volontaires, notamment ceux qui concernent les Kabyles.

Fatima Bedar
Fatima Bédar, le visage kabyle du 17 octobre Née à Tichy, en Kabylie, Fatima Bédar arrive en région parisienne en 1957 pour rejoindre son père, ouvrier installé depuis 1951. Élève studieuse au collège de Stains, elle menait une vie simple, partagée entre l’école et les rêves d’une adolescente. Mais la colonisation, avec son lot d’humiliations et d’injustices, pesait sur les consciences. Très tôt, Fatima choisit de s’engager pour l’indépendance de son peuple. Elle rejoint les rangs de la Fédération de France du FLN. Le 17 octobre 1961, à 15 ans, elle participe à la marche pacifique contre le couvre-feu raciste imposé aux Algériens. Elle n’en reviendra jamais. Son corps est retrouvé plusieurs jours plus tard dans le canal Saint-Denis. Fatima n’était ni française, ni militante idéologique. Elle était kabyle, jeune, digne, consciente. Et elle est morte pour la liberté.

Une exigence de vérité et de courage politique

Désigner aussitôt l’extrême droite comme seule responsable est devenu une forme de réflexe commode. Mais le mal est plus profond : il réside aussi dans l’incohérence, le clientélisme et l’opportunisme de ceux qui prétendent défendre la mémoire tout en l’instrumentalisant selon les circonstances.

Trop souvent, on se tait lorsque la mémoire est honorée dans le silence, puis on communique quand elle est profanée, sans jamais prendre de risque. Ces équilibristes de l’indignation à géométrie variable affaiblissent toute crédibilité mémorielle.

Défendre la mémoire, c’est défendre la vérité historique, toute la vérité — pas une version militante, ni un usage idéologique.

La répression sanglante du 17 octobre 1961 fut orchestrée par Maurice Papon, alors préfet de police de Paris. Ce même homme avait été secrétaire général de la préfecture de Gironde sous Vichy, responsable de la déportation de plus de 1 600 Juifs, et jamais inquiété pendant des décennies.

En 1961, Papon met en place un couvre-feu raciste ciblant les Algériens, fait arrêter, tabasser, expulser, noyer des centaines de manifestants pacifiques dans la Seine.

Il faudra attendre 1998 pour qu’il soit condamné pour complicité de crimes contre l’humanité. Un jugement tardif, mais une mémoire encore plus lente à s’assumer.

Malaise autour du choix du lieu

Le choix de la Place Gabriel Péri pour y ériger la stèle n’est pas anodin. Ce lieu, historiquement lié à l’immigration populaire, est aujourd’hui associé à des replis identitaires, des tensions communautaires et une perte de repères culturels.

Pour nombre d’habitants de Lyon — qu’ils soient Kabyles, Français d’origine ou simples citoyens attachés à la continuité historique de la nation — ce choix peut être vu comme une tentative de marquage territorial, voire un geste symbolique ambigu dans un quartier abandonné par l’autorité.

Pourquoi Lyon ?

Le choix de la ville de Lyon pour ériger une stèle à la mémoire du 17 octobre 1961 interroge légitimement.
Maurice Papon, organisateur du massacre, n’a aucun lien avec cette ville, et les événements se sont produits à Paris.

Si Lyon fut une terre d’accueil pour de nombreux immigrés algériens et kabyles, elle ne fut pas directement touchée par les répressions de cette nuit.
Ce choix semble donc plus politique que mémoriel : il s’agit moins de transmettre un fait historique local, que de prolonger une mobilisation idéologique dans un quartier symbolique.

Là encore, la mémoire semble déplacée, instrumentalisée, et utilisée comme étendard, plus que comme transmission fidèle du passé.

Quand la mémoire devient un alibi militant

Ce qui interroge enfin, ce sont les prises de position publiques de certaines figures impliquées dans ce rassemblement. Sur les réseaux sociaux, on trouve des publications appelant à boycotter Israël, accusant la France, l’Union européenne ou les États-Unis de complicité dans un « génocide », et tenant un discours particulièrement radical contre l’État hébreu.

Ce glissement constant vers un agenda militant pro-palestinien radical, très éloigné de la mémoire des victimes du 17 octobre 1961, pose question. Car instrumentaliser une tragédie historique sur le sol français pour y greffer des causes extérieures, c’est trahir la mémoire en la détournant de son contexte.

Défendre la mémoire du 17 octobre n’implique pas de choisir un camp géopolitique, ni de relayer des discours extrêmes qui brouillent les repères. La mémoire mérite la clarté, pas l’embrigadement.

Une mémoire sans voix dans l’espace médiatique

La manière dont cette stèle a été médiatiquement (in)visibilisée est également parlante. Son inauguration s’est déroulée dans un quasi-silence médiatique, tandis que d’autres prises de parole, parfois relativistes ou hostiles à l’histoire de France, bénéficient d’échos complaisants.

Cette asymétrie dans le traitement de la mémoire nationale est un problème de fond. Elle trahit une hiérarchie morale confuse, dans laquelle la France ne sait plus toujours honorer ses morts, ni ceux qui l’ont servie — y compris parmi ceux venus d’ailleurs, comme de nombreux Kabyles, à la fois patriotes français et profondément attachés à leur identité kabyle, dont beaucoup ont combattu pour une Algérie libre, confisquée ensuite par un pouvoir autoritaire.
Leur combat n’était pas celui d’un drapeau, mais celui de la dignité, de la liberté, et de la fidélité à leur peuple.

Rassemblement antiraciste et pour la mémoire
Jeudi 23 octobre 2025
17h30
Place Gabriel Péri, Lyon


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